Prises de Notes 3 : Mixage du disque « Espace » du trio d’Edward Perraud

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  Et si c’était simple !

Autrement dit, est il concevable qu’un mixage ne soit pas une aventure complexe digne d’une expédition polaire, un concept plus dramatique qu’un plan sur les comètes ?

   Que ce ne soit pas, cette fois-ci, une totale remise en question motivée par des attentes fantasmagoriques, une sorte de révolution musicale qui nous obligera à prendre garde à chaque instant de chaque décision ? Arriverons nous à créer ce chef d’oeuvre intemporel pour l’écoute duquel les foules rampantes se prosterneront, se battront même pour enfin accéder à la Vérité révélée ?

   Vais je devoir me déguiser en Grand Prêtre Supersonique, en Sorcier du Patch et poser la main sur la console en fermant les yeux puis enfin entrer en transe pour transformer en Graal notre misérable relique ?

    Combien de Rd405 vais je devoir brancher dans un comdépresseur modifié par le docteur Muller, ancien responsable de la sonorisation à Notre Dame de Paris ? Va t -il falloir acheter un sommateur en version soustractive utilisé dans le dernier mix de Lolita, qui en ce moment refait sa 125 em prise de voix avec un « Quel noeud Man !!!! U 87 V 75,3 »?

    Parviendrons nous à rester ami avec Edward, à faire que le groupe ne se sépare pas pour désaccord à propos du tube RD 45 soviétique et son équivalent Nord Coréen 007 ?

   Va-t-il falloir revendre la voiture, changer d’appartement, virer sa famille pour

« OBTENIR THE MIX ? »

 

                                                 NON NON ET NON !!!!!!

Lecteur mon ami, sois rassuré ! Pardon de t’avoir un peu secoué, prends un Kleenex et éponge ton front.

    Reste calme et buvons frais !

Soyons sérieux …un petit peu, pas trop longtemps.

   Bien sur que le mixage ça peut être un peu de tout cela. Quand on conçoit un disque avec une monumentale pression…Tiens, un exemple ! S’il faut trouver LE SON pour que « Sergent Pepper »  des Beatles efface à jamais de nos mémoires le génie de « Pet Sounds «   des Beach Boys ! Alors la d’accord ! On met les moyens, on se sépare, on déprime au lit pendant trois ans, on part méditer en Inde, on se fait des procès, on fréquente un psy à la mode avec lequel on partage des cachetons….

Blague ! Mais respect !!! Grand big big respect !!!!!!

   Pour « Espaces », notre projet du moment, nous avons déjà un son à l’issue des enregistrements. Les « mises à plat«  sont encore de mise et finalement pas si plates que cela.

La couleur nous plaît, c’est celle de cette musique là jouée par ces musiciens là.

 « Scarabé, prends garde de toujours avoir avec toi les « mises à plat », surtout si tu n’as pas fait les prises, afin de les écouter et de les comparer à ton mixage en cours. Vérifie que ce que tu fais apporte quelque chose à la musique malgré ta « grosse caisse Terminator », sur laquelle tu bosses depuis 5 heures, et que la basse soit bien à sa place musicale et non pas à la place de parking du « Amnesiakicksub club » à Ibiza.

   Dis toi que des balances effectuées durant les prises ont forcément une valeur, même si imparfaites. Crois tu nos musiciens assez idiots pour écouter des balances de séance d’enregistrement qui sonnent totalement à côté de la plaque sans ne rien dire ? Ne penses tu pas qu’au moment des choix de versions ils pourront se faire une idée sans un minimaximum de qualité sonore ?                            

Ne sais tu pas que ce n’est pas funky du tout de ne pas être heureux en séance d’enregistrement ? »

Ma tache sera d’affirmer, de clarifier, d’aider à révéler les intentions musicales. Mon truc à moi c’est de créer un monde irréel, un espace non écologique, un genre de paysage superlatif ou l’on touche du doigt les acteurs d’un théâtre large et profond.

Quelque chose entre le tout proche effleuré et la conquête de l’espace;  à bonne distance des promesses impossibles mais à l’horizon sensible des rêves les plus absurdes.

   Pour ce travail Edward est à mes cotés. Lui je veux bien, oui je veux bien de lui car il sait beaucoup de choses à propos des joies de l’équilibre et pleure volontiers de ne pas être à la bonne place.

   Pour un artiste il est difficile d’exprimer ses sensations, et pour nous autres,  modestes ingénieux, il est plus complexe encore d’interpréter des désir exprimés parfois dans le brouillard épais des idées préconçues.

     Comment savoir de quoi me parle ce type là  ? De mes enceintes acoustiques, de sa musique, des deux confusément agglomérées ? Est il victime de sa surprise d’entendre son chef d’oeuvre soudain de façon si différente qu’à son habitude. Est il inquiet un peu..beaucoup ?

Saura-t -il dire qu’il ne sait pas et avouer son désarroi en toute simplicité ? Vais je supporter qu’il préfère le son dans sa cuisine tandis que sa compagne prépare à manger pour le petit qui se décrotte le nez ?

  Comment savoir quel crédit accorder à ses opinions, à ses revendications parce que « que c’est mon droit,  que c’est ma musique euhhh…. d’accord  » ?

   J’avoue, en trente cinq ans de travail je n’ai jamais trouvé la réponse.

   J’ai juste trouvé un remède efficace, comme un psy vous conseille un médoc avant de passer aux choses sérieuses, comme peut être 35 ans de séances allongées sur le canapé, tôt levé pour passer par la banque.

    Je propose donc, comme durant les mixages du disque « Dadada » du trio de Roberto Negro/ Emile Parisien/ Michele Rabbia (bientôt raconté dans le cadre de « Prises de Notes ») la solution casque.

    Oui, comme sur un chantier avec des grues, des chefs et des sous chefs: Le port du casque obligatoire.

  

   Pas ça
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Mais ça

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Je demande au musicien de venir avec son casque favori, celui avec lequel il écoute de la musique chez lui en mode détendu. Peu importe sa qualité, son prix ou sa valeur sur le marché de l’occasion.

     Il pourra ainsi retrouver ses habitudes et avoir un jugement constructif. On peut même imaginer qu’il s’habituera au son de la cabine à force de solliciter son cerveau, plein de ressources, en mode automatique.

    Sur ces mixages, je n’ai pas fait grand chose en terme de traitements analogiques.

  Pour la batterie je suis passé par mon compresseur GML en mode molomolo puis par l’équaliseur Manley avec peut être une légère équalisation plutôt poivre que sel. Cela me donne une petite tonicité supplémentaire et un regard Zoomzoom, comme si je m’étais avancé vers les tambours pour bien tout capter.

Quelque chose comme partir de là

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Pour arriver à

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   Sur la contrebasse et le piano, rien du tout. Des balances variées entre les différents micros. avec peut être une légère compression digitale de ma console. Et encore, je ne la valide qu’en fermant les yeux en alternant on, off, on, off, on, off …..jusqu’à ce que je confirme . Si en ouvrant les yeux je me rends compte que 80 % du temps je découvre le ON alors je prends.

Si 50 / 50 ( merde alors…),  j’hésite. Si 20 % je coupe. Simple !

     Sur le bus stéréo je convoque la chaine analogique suivante: Elysia Alpha compressor pour un peu de tenue et de MS avec élargissement subtil de la stéréo, mon Fairchild en mode « douce doudou », et enfin mon équaliseur Elysia Museq plutôt réception de chantier et finitions que destruction marteau piqueur.

Pour la suite c’est assez simple, dès lors qu’on accepte et comprends la poétique d’Edward. Moi j’adore ! Sommairement et en résumant voici le scénario.

    Il me raconte avec ardeur et passion des petites anecdotes, parfois des grandes aventures, avant le mix puis après mon travail.

Quand je lui dis, Edward mets ton casque, il agit, ferme les yeux et écoute profondément.

   Voici quelques exemples de ce qui peut se passer:

        – « Tu vois Philippe ce morceau je l’ai composé  alors que j’étais au bord de la mer avec mes filles qui, les pieds dans l’eau, me criaient «  papa, papa…!!!!! », me tirant de ma torpeur, absorbé que j’étais par mon recueil de poésie. 

      Là, c’est super ce que t’as fait, j’entends bien les petites mais pas assez le poids de la mer qui berçait ma lecture… »

        Je réfléchis et me remémore ce poème de Francis Ponge, « de l’eau », dont voici un extrait:

   

« On pourrait presque dire que l’eau est folle, à cause de cet hystérique besoin de n’obéir qu’à sa pesanteur, qui la possède comme une idée fixe »

      

Bien bien bien !! La pesanteur, la masse, le poids. Peut être est ce du grave dont il parle…

  Mais pourtant j’ai ce qu’il faut, prends garde Philippe à ne point t’égarer !

      Il ne s’agira pas de transformer le boum en BOUM mais peut être juste de rendre le boum plutôt boummmmm.

       Lecteur, je ne te dirai pas tout de mes secrets, quand à toi, jeune et ambitieux ingé son il va falloir que tu trouves un peu par toi même,  mais vois tu l’idée ?

   Edward est content, et moi aussi.

Il peut aussi se passer cela

   « Philippe, ce morceau j’y ai pensé dans ma voiture alors que j’étais coincé depuis quatre heures sur le périphérique en écoutant Mozart sur France Musique. Par chance il y avait une émission sur ses concertos pour piano. Après en avoir écouté plus de quinze, j’ai pensé à Paul et à notre intense complicité musicale. M’inspirant du divin Wolfie, j’ai composé pour lui les trois premières notes de cette mélodie que tu mixes en ce moment.

     Et là, je ressens bien, grâce à ton travail, la délicatesse de son toucher mais je ne ressens pas tout à fait les quatre heures passés dans la bagnole en plein cagnard….

    Bon c’est super déjà, mais que peux tu faire ? »

« Edward, ne me demande pas l’impossible ! Quatre heures au lieu de deux ! Mozart en boucle !

Je négocie, le gars est rude ! »

« Ok amigo, que dirais tu de trois heures ? »

 « vas y, fais voir !!!!! »

    

  Le temps, la langueur, la chaleur. Je rallonge les temps de réverbération jusqu’à obtenir une sorte de moiteur, nous passons des tropiques à l’équateur. Je vire aussi la clim de la bagnole.

    

Edward, en un cri ! « YES, J’y suis. En plus, ne le dis personne, mais trois heures de Mozart c’était super, quatre peut-être un peu trop. Comme ça c’est parfait !»

Ou bien encore cela.

« Philippe as tu déjà vu mes photos, enfin les as tu regarder avec attention ? Te souviens tu de celle, parmi les 2515 que je t’ai montré l’autre soir entre 20H30 et 3h00 du matin, oui celle de cette feuille qui tombe dans le lac un matin d’hiver. Si gracieuse, si tendre. Et le lac, si beau, si froid ? T’en souviens tu, presque gelé et pourtant, magie de la photo, je dois bien te l’avouer ce n’était qu’une flaque d’eau laissé par les pluies du tout dernier été.

    Maintenant, grâce à toi, je ressens bien la feuille mais assez peu le lac, plutôt la flaque dans toute sa misère…..

Que peut on faire ? Ce morceau est hyper important, c’est le seul de l’album qui suggère le rapport qu’il y a entre les mystères du monde quantique, la progression concordante et intégrée de la structure politico sociale  et notre condition d’hommes mortels. »

« Ah ! Enfin, voilà qui est clair Edward ! Je suis accord avec toi ! A la réécoute j’ai ressenti la même chose, surtout la feuille qui tourne sur elle-même en tombant et dont je ne ressens pas assez la révolution. Laisse moi régler cela, agrandir la flaque et refroidir le lac»

  En saupoudrant un peu, par ci par là, la musique de quelques « aiguglaglas », de réverbérations infinies et de petites distorsions je parviens à mes fins.

   Edward m’adresse un sourire, retire son casque et me dit « Nous y sommes ! »

   Nous avons travaillé ainsi sur chaque morceau. Ce fut un mixage passionnant et enrichissant. Capter l’idée et la traduire en matière sonore.

Partager avec Edward l’objet de ses pensées, les rendre palpables, chercher avec lui le ton juste pour offrir à l’auditeur la liberté de s’évader.

  J’ai adoré mettre en place mes petites bricoles, offrir à ces vibrations sonores une encore plus belle allure.

Merci Edouard, ont a bien fait équipe !

Si le mixage de la Musique a un sens alors j’ai bien fait d’éprouver ma patience, de jubiler à chaque instant de découverte de ton Monde musical.